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Mission Rosetta – Philae : ils répondent aux questions

Le 12 novembre dernier, en atterrissant sur une comète, le module Philae a suscité un grand engouement populaire pour la mission Rosetta – Philae. Une équipe d’experts répond aux questions d’étudiants.

En réussissant l’exploit de se poser sur une comète la mission Rosetta – Philae a réussi les des plus remarquables exploits de l’exploration spatiale, un exploit qui a suscité un grand engouement populaire. C’est dans le but de partager cette expérience unique que Phil McGoldrick (PM), directeur de l’ingénierie pour Rosetta, Steve Kemble (SK), analyste senior de la mission, Dan Andrews (DA), cochercheur sur l’instrument de spectrométrie de masse Ptolémée de Philae, Nick James (NJ), responsable de l’équipe Intermediate Frequency Modem System (IFMS) et Laurence o’Rourke (LOR), coordinateur des opérations science pour l’ESA, ont participé à une session de questions-réponses avec les étudiants de STEM Academy Rocket Club et du Year 13 Physics Group du Buttershaw Business and Enterprise College de Bradford.

Nous avons entendu les sons générés par l’atterrisseur. Étant donné que le son ne voyage pas dans le vide, comment ces sons ont été générés, et dites-nous quelle est la meilleure façon de comprendre ces données ?

PM : Les sons ont été captés par les pieds de l’atterrisseur. Les capteurs de SESAME (Surface Electric Sounding and Acoustic Monitoring Experiment) sont dans les pieds. Ils captent les vibrations aux fréquences acoustiques.

DA : Le son ne voyage pas à travers le vide de l’espace, mais il se propage librement à travers d’autres médias tels que les structures. C’est de cette façon qu’il est possible d’entendre, par exemple, les propulseurs ou les mécanismes à l’intérieur de l’ISS. Ce qui a été enregistré est le toucher au sol, les vibrations dans les pieds, lorsqu’il a traversé une couche de matériau plus doux avant de heurter une surface dure. C’est la meilleure manière pour l’homme de ressentir ces vibrations.

Il a fallu 10 ans pour atteindre la comète, ce qui signifie que tous les systèmes embarqués ont plus de dix ans. Qu’auriez-vous pu obtenir de plus si les systèmes seraient récents ?

NJ : L’IFMS est un instrument défini par logiciel. Il peut donc être adapté pour gérer de nombreux formats différents. Contrairement aux logiciels commerciaux modernes, une de nos principales exigences est la compatibilité descendante avec les anciens systèmes qui volent déjà.

PM : Une technologie plus à jour pourrait serait des puces qui pourraient stocker plus de données, donc plus de données qui pourraient être renvoyés par Rosetta à chaque transmission. Une mémoire accrue permettrait également à prendre des mesures plus fréquentes avant qu’elle soit pleine et qu’il faille transmettre les données.

DA : Nous pourrions utiliser des caméras plus avancées, d’autres instruments, de nouveaux matériaux, de nouvelles technologies de propulsion, de nouvelles techniques de communication et probablement faire tout d’une manière encore plus efficace si nous concevions un véhicule spatial aujourd’hui. Oui, nous aurions potentiellement pu obtenir des données encore plus détaillées. Je précise que la fiabilité est également d’une importance cruciale dans toute mission spatiale, notamment pour des missions d’aussi longue durée que celle de Rosetta. L’utilisation d’équipements éprouvés est un sacrifice qui donne de la confiance face aux rigueurs de l’exploration spatiale de longue durée.

Disposition des instruments de Philae
Disposition des instruments de Philae

Est-il frustrant de devoir travailler avec les technologies que vous connaissez lorsque celles-ci sont inférieures à celles disponibles maintenant ?

PM : Cela n’a rien de frustrant. Comme toutes les technologies spatiales doivent être robustes, il est inutile d’utiliser les derniers systèmes qui seraient vulnérables, donc voués à l’échec.

DA : Pour être parfaitement honnête, ce n’est pas frustrant. La richesse des données qui arrive prouve que le succès de la mission à ce jour est au-delà des rêves les plus fous. Nous avons eu la clairvoyance de concevoir l’instrument Ptolémée sur une base logicielle pour qu’on puisse l’adapter le moment venu avec tout ce que nous avons appris depuis le lancement. Des adaptations ont été effectivement réalisées pour corriger l’atterrissage « non nominatif».

Y a-t-il des problèmes de compatibilité entre la technologie envoyée il y a 10 ans et la technologie plus moderne utilisée au sol, ou est-ce que le contrôle de la mission se fait toujours sous Windows Vista ?

PM : Encore une fois, c’est une question d’habitude. Par exemple, nos satellites de télécommunication sont conçus pour une durée de vie minimale de 15 ans dans l’espace. Nous sommes donc expérimentés à devoir travailler avec eux sur de longues périodes.

DA : Le plus grand défi n’est pas technique, mais au niveau des ressources humaines. Il faut garder les équipes ensemble, en termes de connaissances, mais aussi face aux contraintes budgétaires. C’est pour cela que la gestion des données et des archives, tels que le Planetary Data System (PDS) intervient.

Comment cette comète a-t-elle été choisie ?

DA : La comète 67P/Churyumov-Gerasimenko n’était pas réellement l’objectif initial. Rosetta devait initialement être lancée en 2003 pour rejoindre la comète 46P/Wirtanen. Le précédent lancement d’Ariane 5 ayant malheureusement échoué, il a été décidé de ne pas risquer Rosetta sur le même type de lanceur sans que la cause de l’échec soit connue. C’est le retard d’un an qui a conduit au choix d’une autre cible.

LOR : Il y a eu un facteur ingénierie (mécanique du vol, possibilité d’être en mesure d’atteindre un objectif dans un certain nombre d’années) et un facteur scientifique (la connaissance des propriétés de la cible par exemple) qui ont été pris en compte pour le choix.

Quelle est la complexité des calculs de la trajectoire d’interception suivie par Rosetta et quelle était sa marge d’erreur ?

SK : Voici le résultat des simulations mathématiques détaillées de la dynamique orbitale, ainsi que les manœuvres, combinées aux techniques d’optimisation de la trajectoire pour réduire au minimum le carburant. La comète est environ 4 km de diamètre et la distance parcourue est de plus de 1 milliard de kilomètres, donc le pourcentage d’erreur dans les calculs et leur mise en œuvre par l’intermédiaire de techniques de navigation est très faible.

Trajectoire orbitale de la sonde Rosetta autour de la comète 67P
Trajectoire orbitale de la sonde Rosetta autour de la comète 67P

Combien de temps Rosetta peut rester fonctionnel en orbite autour de la comète, et quelles données espérez-vous encore recevoir même si Philae reste inactif ?

SK : L’orbiteur devrait rester actif jusqu’au passage du périhélie, soit dans environ 10 mois, et même un peu après. La mission Rosetta a été spécifiée pour être exploitée jusqu’en décembre 2015, ce qui signifie qu’il a beaucoup de carburant à bord.

DA : En décembre 2015, Rosetta mesurera certainement une activité croissante de 67P alors qu’elle s’approche du Soleil. Nous ne pouvons pas encore prédire avec certitude ce qui se passera, ce qui n’est en aucun cas une fin absolue. Comme c’est typique avec les missions d’exploration, Rosetta peut encore vivre alors qu’elle s’éloignera du soleil, même si la puissance disponible va se réduire en s’éloignant.

LOR : Rosetta peut rester fonctionnel autour de la comète jusqu’en août/septembre 2016. Cette estimation se base sur le carburant et sur la distance au soleil. À cette époque, il est probable que Rosetta entrera en hibernation un certain nombre d’années.

Quelles sont les chances de pouvoir faire revivre Philae ?

LOR : Deux facteurs vont agir sur le réveil de Philae. Le premier est la puissance qui dépend de l’ensoleillement, le second étant l’environnement thermique. Les activités de l’atterrisseur ne peuvent pas démarrer tant que sa température est au-dessus de -40 °C. La première chose que devra faire Philae en se réveillant sera d’allumer ses appareils de chauffage pour chauffer ses piles à des températures de fonctionnement. Philae peut revivre seulement si son environnement n’est pas trop froid par exemple au-dessous de -55 °C.

PM : Nous avons de très bons espoirs. En mars de l’année prochaine, Philae aura 10 fois plus d’énergie solaire. Même dans l’ombre, il aura plus de lumière. L’angle du soleil va changer, ce qui devrait aider aussi.

Philae prêt pour son lancement en 2004
Philae prêt pour son lancement en 2004

Une fois que le périhélie de la comète sera passé, pendant combien de temps le contrôle de mission pourra rester en contact avec Rosetta et Philae ?

Est-ce que la mission pourrait durer comme Voyager ?

SK : Prolonger la mission au-delà du périhélie est en principe possible. La comète est susceptible de « dégazer » lors de son périhélie, ce qui pourrait potentiellement entraîner des dommages à l’orbiteur. Il sera en « stand off » pour minimiser les dommages.

DA : La fin de la mission sera finalement régie par la diminution des niveaux de lumière du soleil et de carburant. De la même manière que pour son voyage, Rosetta hibernera lorsque la puissance disponible manquera. Sa mission active ne durera pas aussi longtemps que celle de Voyager. Elle finira par devenir « juste une autre particule de la queue ».

LOR : Cela va exiger du carburant pour sortir de la veille prolongée. Elle ne durera pas aussi longtemps que Voyager parce que le carburant est le facteur déterminant pour la fin de la mission Rosetta.

Combien pèse effectivement Philae à la surface de la comète ?

DA : La comète a une masse de 1.0 +/- 0.1 x 10^13 kg, soit environ 10 milliards de tonnes, c’est-à-dire le poids d’une petite montagne. La taille et la masse de la comète lui donne une gravité à la surface environ 50 000 fois plus faible que celle à la surface de la Terre. N’oubliez pas que Philae possédait encore 100kg de valeur dynamique à être absorbée par le train d’atterrissage.

Est-ce que le logiciel de l’atterrisseur a modifié quelque chose lors de l’approche en raison du mécanisme d’atterrissage défaillant ?

PM : Non, les pieds sont équipés d’un ressort amortissant.

NJ : L’atterrisseur n’avait aucun contrôle sur sa trajectoire. Cela dépendait entièrement de l’éjection de Rosetta. Il est probable que la défaillance de l’hélice de l’ADS (système de descente active) a contribué au premier rebond.

Quelles expériences de l’atterrisseur étaient entièrement terminées, quelles sont celles qui le sont partiellement et quelles sont qui n’ont pas été exécutées du tout ?

LOR : Tous les instruments ont travaillé sur la comète. Dans certains cas, un instrument secondaire ne servait pas, par exemple le microscope CIVA, ou lorsque les résultats n’étaient pas concluants par exemple SD2, APXS.

DA : Ptolémée a fait des mesures atmosphériques seulement neuf minutes après le rebond initial et a été par la suite en mesure d’analyser les échantillons dans le four. Ptolémée n’a pas reçu un échantillon solide.

Est-ce que l’atterrissage du module pourrait avoir modifié la course de la comète et, si oui, est-ce calculable ?

SK : La masse de l’atterrisseur est relativement faible par rapport à celle de la comète masse. Son impact à une vitesse très faible, donc avec un transfert d’impulsion négligeable, a provoqué un changement de l’orbite indétectable.

Comment prévoyez- vous la trajectoire de Rosetta ? Puisqu’il s’agit d’un problème de suivi d’objet, avez-vous utilisé un contrôleur de feedback ou était-ce que toutes les commandes étaient planifiées à l’avance ?

SK : Dans la phase d’approche finale, la comète est acquise visuellement par l’orbiteur. Une séquence de manœuvres permet ensuite de s’approcher progressivement de la comète, avec davantage de mesures de ce qui découle des manœuvres. Le processus dure plusieurs semaines. Ce n’est pas une boucle de régulation automatique, mais plutôt un système de « man-in-the-loop » avec intervention du contrôle au sol.

NJ : Rosetta se déplace sous l’influence gravitationnelle du soleil, de la comète et des autres corps du système solaire. Sa trajectoire est également affectée par d’autres forces telles que le rayonnement thermique, les propulseurs, etc. L’IFMS permet de mesurer très précisément la vitesse radiale et sa position. Ces mesures, ainsi que les modèles de force gravitationnelle et non gravitationnelles, sont utilisées par l’équipe dynamique de vol de l’ESOC pour calculer la trajectoire exacte. Étant donné que la masse de l’engin spatial et l’efficacité du propulseur est connue, il peut déterminer la durée et la direction du propulseur. La rétroaction se compose ensuite de faire davantage de mesures et de modélisation de l’orbite.

LOR : Du point de vue opérationnel, la trajectoire de Rosetta était déjà prévue avant le lancement en 2004. Le seul mode où Rosetta utilise un contrôleur de feedback est son mode de suivi de l’astéroïde où il se nourrit de la caméra de navigation. Tous les autres modes sont commandés du sol.

La mission Rosetta décolle de Kourou à bord d'une fusée Ariane
La mission Rosetta décolle de Kourou à bord d’une fusée Ariane

Quels sont les défis imposés dans la réception du signal envoyé par Rosetta, surtout en raison du délai ?

NJ : L’antenne est pointée très précisément à l’aide de prédictions de la position de la sonde. L’IFMS peut également fournir des commentaires au contrôleur de pointage de l’antenne pour lui permettre d’optimiser le niveau du signal disponible. Le signal est très faible. Nous utilisons des largeurs de bande très étroites pour extraire les informations de synchronisation. Il est assisté par un FFT qui permet d’estimer la fréquence de la porteuse.

LOR : Le défi vient principalement de la taille de l’antenne de la station au sol utilisée sur terre pour acquérir le signal de Rosetta. Normalement, vous avez besoin d’une parabole de 35m ou plus.

La station de Malarguee qui reçoit des signaux de Rosetta
La station de Malarguee qui reçoit des signaux de Rosetta

Quel est le système de contrôle thermique utilisé par Rosetta et Philae ? Sont-ils différents ?

PM : Rosetta a des radiateurs pour se débarrasser de l’excès de chaleur et des appareils de chauffage pour s’assurer que l’engin ne devienne pas trop froid. Rosetta a également une série de lamelles qui s’ouvrent et se ferme automatiquement pour maintenir la bonne température.

LOR : Rosetta a un système de contrôle thermique actif qui maintient la température de toutes les unités. Philae dispose d’absorbeur passif pour collecte de l’énergie solaire et la dissiper sous forme d’énergie thermique dans le compartiment interne, mais aussi d’appareils de chauffage électriques. Contrairement à Rosetta, Philae a la capacité de maintenir la température de ses unités « en haut », mais n’a aucun moyen de réduire la température en dehors de la mise hors tension des unités.

De quels systèmes de contrôle d’attitude dispose Rosetta ?

PM : Rosetta dispose d’un système bipropulseur de la même technologie que celle utilisée sur nos satellites de télécommunications, donc éprouvé et fiable.

DA : Rosetta a deux systèmes de contrôle d’attitude, un à l’aide de volants d’inertie et l’autre à l’aide de propulseurs. La plupart des contrôles d’attitude se font via les volants : toute augmentation ou diminution de la vitesse de rotation d’un volant d’inertie provoque un mouvement inverse dans Rosetta. Étant donné que les volants d’inertie agissent uniquement dans un seul plan, plusieurs sont nécessaires pour contrôler la rotation de l’engin spatial dans l’espace 3D. Ces volants cependant ont des limites et doivent être « déchargés » lorsqu’ils s’approchent des limites de fonctionnement de tr/min. Toutes les manœuvres de delta-v sont effectuées par le système de propulsion, une série de 24 propulseurs 10-Newton.

LOR : Le système de propulseur de Rosetta n’utilise normalement pas de combustible, un élément qui a une durée de vie limitée. Il est utilisé lorsque le vaisseau est en mode sans échec ou quand il effectue des manœuvres. Dans tous les autres modes, il utilise ses volants d’inertie.

Quels systèmes sont actifs en mode hibernation de Rosetta ?

DA : Les systèmes thermiques sont actifs pour s’assurer que l’engin spatial ne va pas geler. Le récepteur est actif pour attendre le signal du réveil.

LOR : Principalement l’ordinateur principal et le système de contrôle thermique.

Pourquoi avoir choisi l’énergie solaire plutôt qu’une source RTG ?

DA : Les panneaux solaires sont simples, fiables et éprouvés par nos précédents satellites scientifiques et commerciaux. Ils vont générer beaucoup de puissance alors que Rosetta va s’approcher du soleil.

NJ : Une source RTG implique le lancement de plutonium, ce qui serait un problème pour l’Europe. L’ESA étudie utilisent un isotope différent pour des engins à l’avenir. Les vaisseaux américains utilisent de petites quantités d’isotopes radioactifs pour assurer le chauffage, ce qui aurait été utile pour Philae.

LOR : L’ESA n’utilise pas le nucléaire pour ses vaisseaux spatiaux. À cet égard, nous étions obligés de construire de grands panneaux solaires pour donner la puissance nécessaire.

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