Créer une école de toutes pièces, la financer soi-même, la penser différemment. C’est l’option choisie par Zuckerberg, Musk ou Ye. Pourtant, les fermetures s’enchaînent et les leçons, elles, tardent à venir
Mark Zuckerberg n’est pas le premier à croire que l’argent peut réinventer l’école. Mais il est sans doute l’un de ceux qui y ont mis le plus de moyens. Et aujourd’hui, l’un de ceux qui ferment boutique.
The Primary School, qu’il avait fondée avec son épouse pour offrir une éducation gratuite à des enfants issus de milieux modestes, fermera ses portes en 2026. Une annonce discrète, mais révélatrice. Même les projets les mieux intentionnés, portés par les fortunes les plus colossales, butent sur une réalité que les chiffres seuls ne suffisent pas à transformer.
Depuis plus de dix ans, les milliardaires américains multiplient les incursions dans le monde de l’éducation. Bill Gates finance la refonte des programmes de mathématiques. Michael Bloomberg paie les études de futurs médecins. Elon Musk a lancé son école alternative à base de projets scientifiques. Ye, ex-Kanye West, a voulu créer un établissement chrétien tourné vers la créativité. Résultat : une succession d’écoles privées montées comme des prototypes… puis abandonnées.
Le schéma est presque toujours le même. On part d’un constat, souvent juste : l’école publique américaine est en crise, inégalitaire, à bout de souffle. On oppose à cela une vision neuve, souvent inspirée du monde de la tech : pédagogie personnalisée, autonomie des élèves, innovation continue. On injecte des millions, parfois des centaines. Et l’on attend que les résultats suivent.
Mais l’école n’est pas un laboratoire. Ce n’est pas non plus un produit à optimiser. Les enfants ne sont pas des données qu’on réorganise pour faire monter des courbes. Ce que beaucoup de ces projets sous-estiment, c’est l’inertie du terrain. Les enseignants, les familles, les communautés locales ont leur propre dynamique. Et surtout, leurs propres attentes.
À Newark, l’expérience de Zuckerberg en 2010 avait déjà montré les limites de ce modèle. Malgré 100 millions de dollars investis, les retours restent mitigés. Quelques progrès en lecture, peu d’impact ailleurs, et une population locale qui a eu le sentiment d’être contournée. La même critique revient : trop vertical, trop rapide, trop éloigné du quotidien.
The Primary School n’a pas échappé à cette logique. Le projet reposait en grande partie sur le financement initial du couple Zuckerberg. Faute de trouver d’autres donateurs ou d’obtenir des financements publics durables, l’aventure s’est interrompue. Une décision présentée comme difficile. Mais attendue.
D’autres exemples sont encore plus abrupts. Ye, qui avait ouvert Donda Academy avec une ambition presque spirituelle, a vu son école fermer brutalement après une série de scandales personnels. Derrière le rêve, des réalités peu reluisantes : enseignants impayés, sécurité défaillante, bâtiments inachevés. Les plaintes s’accumulent, les procès aussi.
Même dans des cas moins chaotiques, le constat est souvent le même : l’innovation venue d’en haut ne suffit pas. Les standards “Common Core”, soutenus par des multinationales comme Exxon ou Intel, ont fini par susciter une fronde contre l’uniformisation imposée par des acteurs extérieurs. Dès que la réforme semble venir de l’élite, elle se heurte à une forme de rejet.
Il y a pourtant, dans cette accumulation d’échecs, une leçon que certains commencent à entendre. La philanthropie éducative n’est pas un outil magique. Elle fonctionne à la manière du capital-risque : on tente, on échoue, on recommence. Mais à la différence d’un produit tech, chaque échec laisse des traces. Des élèves déplacés. Des enseignants remerciés. Des familles désorientées.
Peut-on encore croire à une réforme de l’école portée par les grandes fortunes ? Peut-être. À condition qu’elle s’ancre dans le temps long. Qu’elle parte du terrain, et non des tableaux de bord. Qu’elle écoute avant de réinventer. L’école n’a pas besoin d’être disruptée. Elle a besoin d’être soutenue, comprise, accompagnée.
Aujourd’hui, les écoles fondées par les stars de la tech ferment les unes après les autres. En silence. Comme si tout cela n’avait été qu’un détour. Pendant ce temps, l’école publique, malgré ses failles, reste le seul lieu où l’on tente, chaque jour, de faire tenir ensemble l’idéal et la réalité.