ANALYSE | En catimini, sans prévenir, Google vient d’éteindre l’un des derniers lieux publics de son empire vidéo, une décision absurde aux conséquences bien réelles pour des milliers d’utilisateurs quotidiens. Ce choix, ni pertinent ni justifié, révèle surtout une incompréhension inquiétante de ce qui fait l’essence même d’Internet.
Une enquête du pôle « Culture & Technologie »
C’est typiquement le genre d’annonce que personne n’avait vue venir. Un petit paragraphe sur un obscur blog officiel, quelques réactions isolées sur Reddit, et puis le silence. Pourtant, ce mois de juillet 2025 marquera bien une fracture pour des milliers d’utilisateurs quotidiens : la page « Tendances » de YouTube n’existe plus. Une disparition incompréhensible, presque absurde, qui sonne comme un mépris total envers ceux qui, chaque jour, venaient précisément chercher là ce que la plateforme ne sait plus offrir : la surprise.
Ce que YouTube n’a visiblement pas compris
Soyons clairs, la page « Tendances » était loin d’être parfaite. C’était même parfois un joyeux capharnaüm où la dernière bande-annonce Marvel côtoyait les expériences douteuses d’un youtubeur amateur. Mais précisément, c’était sa force. Elle incarnait ce que les algorithmes ne savent pas imiter, ce hasard fertile qui propulse en une nuit une vidéo banale en phénomène culturel.
Supprimer ce lieu commun revient exactement à fermer une place publique parce qu’elle est trop fréquentée. Oui, c’était chaotique. Oui, c’était bruyant. Mais des milliers d’utilisateurs la fréquentaient justement pour ça : l’espoir d’être surpris, étonnés, voire même consternés ensemble. La page « Tendances » était une discussion permanente, souvent frustrante mais toujours passionnante, sur ce que nous regardions tous, ensemble, à un instant donné. Aujourd’hui, cette discussion n’existe plus.
Une explication officielle bien peu convaincante
Officiellement, Google justifie cette suppression par une soi-disant « baisse d’intérêt » et la montée des « micro-tendances ». On nous explique à coup de graphiques aseptisés que les utilisateurs préfèrent désormais être guidés par des recommandations ultra-ciblées et le scrolling infini des Shorts. Mais soyons francs, vous vous en doutez : personne n’est dupe.
La réalité, beaucoup moins reluisante, est que cette décision n’a rien à voir avec les utilisateurs, et tout avec l’obsession maladive de l’algorithme à capter chaque seconde d’attention disponible. Laisser les gens flâner au hasard, découvrir des vidéos inattendues et passer du temps hors du contrôle direct des recommandations automatisées, c’est considéré comme une perte sèche. En supprimant la page « Tendances », YouTube a décidé que désormais, chacun resterait bien gentiment dans sa bulle, guidé uniquement par des suggestions calibrées à l’extrême.
Autrement dit, YouTube a supprimé ce qui faisait précisément son charme pour mieux nous enfermer dans un univers fade, répétitif et parfaitement prévisible. Une décision aussi stupide que cynique, prise par des responsables déconnectés de la réalité de leurs propres utilisateurs.
Le lien « Tendances » de YouTube reste actif, bien que désormais invisible
YouTube a bel et bien retiré l’onglet « Tendances » de ses interfaces, aussi bien sur navigateur que sur mobile. L’utilisateur ne le retrouve plus dans les outils de navigation habituels. Pourtant, la page n’a pas disparu pour autant. Elle demeure consultable via l’URL directe maintenue par la plateforme, où l’on retrouve encore les vidéos les plus populaires classées par thème.
Ce maintien discret ne doit rien au hasard. La page subsiste dans l’architecture de YouTube, mais elle a été retirée de la circulation. Pour l’immense majorité des utilisateurs, elle devient invisible. Et ce qui n’est plus visible cesse, en pratique, d’exister. Ce déplacement silencieux transforme un espace collectif en recoin secondaire, presque confidentiel.
Ce choix illustre une logique plus profonde. Plutôt que de laisser chacun explorer librement une sélection commune, aussi imparfaite soit-elle, la plateforme préfère guider son public vers des sections classées par thème, comme les Charts, ou vers des recommandations issues du flux algorithmique. Ce mouvement progressif ferme la porte à l’aléatoire et renforce le pouvoir de tri exercé par la machine.
Un coût humain colossal pour une décision absurde
Ce choix n’est pas simplement contestable ; il est profondément injuste envers ceux qui créent réellement de la valeur sur la plateforme : les créateurs indépendants. Pour beaucoup, apparaître ne serait-ce que quelques heures dans l’onglet « Tendances » représentait l’unique opportunité d’être découverts par un public plus large. Aujourd’hui, ces talents émergents sont condamnés à supplier un algorithme opaque, devenu une divinité capricieuse, de bien vouloir leur accorder une visibilité quelconque.
Et nous, les utilisateurs quotidiens ? Nous perdons bien plus qu’une simple fonctionnalité. Nous perdons ce petit frisson du matin, cette découverte improbable, ce moment où l’on sait qu’on partage avec des milliers d’autres personnes le même sujet de conversation. Demain, nous n’aurons plus de vidéo commune à commenter, plus d’événement imprévisible à discuter entre collègues à la pause-café.
Cette décision, prise sans aucune forme de consultation ni de bon sens, dessine une vision tristement étriquée d’un monde numérique où chacun vit isolé, gavé uniquement de contenus sur mesure. YouTube n’a pas seulement supprimé une page ; il a rendu notre expérience du web infiniment plus solitaire et ennuyeuse.
En pratique, retenez ceci : en voulant optimiser à tout prix, YouTube vient peut-être de commettre l’une de ses plus grosses erreurs stratégiques. Une erreur absurde, mais dont les conséquences humaines et culturelles risquent d’être bien plus profondes que prévu. Un choix stupide, déconnecté des attentes réelles, et que la communauté n’oubliera pas de sitôt.