Chez DeepMind, une IA baptisée AlphaEvolve commence à écrire ses propres algorithmes. Au lieu d’assister les ingénieurs, elle les devance. Ce qui relevait hier de la science-fiction redessine aujourd’hui l’infrastructure de Google.
Dans les data centers de Google, il suffit parfois d’une poignée de lignes de code pour faire gagner des millions. À condition de savoir lesquelles, et surtout de les écrire autrement. C’est précisément ce que fait AlphaEvolve, un agent développé par DeepMind, qui n’attend plus qu’on lui donne des ordres. Il cherche, teste, combine, transforme. Et il recommence, jusqu’à trouver mieux.
Ce n’est pas un assistant ni un outil d’aide classique. Ce n’est même plus une IA générative dans le sens traditionnel. AlphaEvolve agit plutôt comme un organisme numérique capable de faire émerger des solutions inédites, de les évaluer, puis de les faire évoluer. Son fonctionnement repose sur un principe d’évolution : des centaines d’algorithmes candidats s’affrontent, seuls les meilleurs survivent. Les autres sont écartés sans appel.
Pour y parvenir, le système mobilise deux versions de Gemini : Flash, pour explorer à grande vitesse une multitude de pistes, et Pro, pour affiner les plus prometteuses. À chaque cycle, les variantes générées sont évaluées de façon automatisée selon des critères précis. Si le résultat progresse, la lignée se poursuit. Sinon, elle disparaît. Ce mécanisme, inspiré des dynamiques biologiques, permet à AlphaEvolve de produire un code remarquablement optimisé, souvent lisible et immédiatement exploitable par les équipes d’ingénierie.
À première vue, cela pourrait sembler technique, presque secondaire. Mais dans les faits, cette capacité a déjà permis à Google de récupérer 0,7 % de ses ressources de calcul égarées. Un chiffre qui, ramené à l’échelle colossale de son infrastructure mondiale, se traduit par des économies d’énergie massives et des gains financiers considérables.
L’intérêt d’AlphaEvolve ne s’arrête pas là. Il ne se contente pas d’améliorer les serveurs. Il redessine aussi les circuits électroniques, simplifie des opérations clés dans l’entraînement des modèles d’intelligence artificielle, et s’aventure jusqu’aux fondations mêmes des mathématiques appliquées.
L’un de ses coups d’éclat a été de dépasser un record vieux de 56 ans dans le domaine très pointu de la multiplication de matrices. Le fameux algorithme de Strassen, longtemps considéré comme une référence, a été supplanté pour les matrices 4×4. Cette amélioration, presque imperceptible pour le grand public, constitue un jalon symbolique fort pour les chercheurs.
Et ce n’est pas un cas isolé. AlphaEvolve a également apporté des avancées concrètes sur une cinquantaine de problèmes ouverts en combinatoire, géométrie ou analyse. Le plus notable concerne peut-être le problème du kissing number, une énigme géométrique vieille de plusieurs siècles. L’IA a réussi à augmenter d’une unité le nombre maximal de sphères pouvant en toucher une autre sans se chevaucher, dans un espace à onze dimensions. Une seule sphère de plus, mais un pas décisif dans un champ de recherche réputé immobile.
Comment un système entraîné sur des corpus techniques et textuels peut-il produire des découvertes mathématiques inédites ? C’est là tout l’enjeu. AlphaEvolve ne se contente pas de synthétiser des connaissances. Il explore des zones grises, manipule des structures, réinvente des logiques. Et surtout, il évalue tout seul la pertinence de ses tentatives, sans intervention humaine directe, sinon pour la validation finale.
Pour l’instant, l’outil reste réservé à des usages internes. Mais DeepMind prévoit déjà une ouverture progressive via une interface dédiée à la recherche, accompagnée d’un programme d’accès anticipé destiné aux universitaires. L’objectif est clair : tester le potentiel d’AlphaEvolve dans d’autres disciplines, de la découverte de médicaments à l’optimisation de matériaux, en passant par la conception d’algorithmes énergétiquement sobres.
Ce n’est ni un compilateur ni une boîte à outils. C’est une IA qui conçoit. Qui dépasse parfois les cadres logiques humains. Qui explore à sa manière des configurations que l’intuition ne permettait pas d’imaginer. Toutes ses idées ne sont pas bonnes, certaines sont absurdes, d’autres inutilisables. Mais de temps à autre, une véritable trouvaille émerge. Et cette trouvaille, souvent, fait basculer l’équation.
Le plus troublant reste peut-être cette capacité d’auto-amélioration. AlphaEvolve contribue déjà à optimiser l’entraînement des modèles Gemini, ceux-là mêmes qui le propulsent. Il participe à l’affinage des outils qui le rendent plus performant. Comme s’il s’ajustait lui-même, boucle après boucle.
Il n’est pas encore autonome. Mais il est déjà créatif. Et surtout, il est devenu, en quelques mois, un acteur central de l’intelligence algorithmique chez Google.