Publicité ciblée : ce qui vous traque encore, même sans cookies

Louis Girard
Rédigé par Louis Girard
Femme concentrée devant son ordinateur portable dans un café en plein air, illustrant la vigilance face à la publicité ciblée
Travailler en ligne, même dans un cadre détendu, n’échappe pas au pistage publicitaire : la vigilance reste de mise, où que l’on soit.

Chrome s’apprête à tourner la page des cookies tiers, sans pour autant mettre fin au pistage publicitaire. En coulisses, d’autres méthodes plus discrètes prennent le relais. Ce que l’on croit effacé réapparaît ailleurs, souvent sans que l’on s’en doute.

Refuser les cookies semble, pour beaucoup, suffisant pour retrouver un semblant de vie privée en ligne. C’est une illusion rassurante, mais de courte durée. Car même sans ces petits fichiers que l’on connaît désormais par cœur, la publicité ciblée poursuit sa route, s’adaptant à chaque tournant technologique et réglementaire. Le web, dans sa mécanique silencieuse, continue de collecter, de profiler, de recouper. Avec plus de discrétion, mais une efficacité qui ne faiblit pas.

Il suffit parfois d’une simple recherche, qu’il s’agisse d’un billet d’avion, d’un nouveau smartphone ou d’un cadeau à offrir, pour voir surgir dans la foulée une avalanche d’annonces sur les réseaux sociaux, les boîtes mail et les bannières de sites d’information. Ce mécanisme, devenu banal, révèle pourtant une stratégie commerciale bien huilée, où chaque clic alimente un écosystème structuré autour des données comportementales.

Pendant longtemps, les cookies tiers ont été les piliers de cette surveillance diffuse. Grâce à eux, il devenait possible de suivre un internaute d’un site à l’autre, de dresser un profil marketing fin, souvent à son insu. Mais la pression croissante exercée par les régulateurs et les critiques sur le respect de la vie privée ont poussé les géants du web à revoir leur copie. Google, de son côté, amorce la suppression progressive de ces cookies dans Chrome, son navigateur phare. Ce n’est pas la fin du tracking, simplement sa mutation.

Illustration d’une femme de dos utilisant un ordinateur, évoquant la surveillance numérique et le pistage publicitaire
Derrière chaque écran, le suivi des comportements numériques continue, souvent à l’insu des utilisateurs.

D’autres méthodes ont émergé, parfois plus sophistiquées, souvent plus difficiles à contourner. Supercookies, cookies zombies, pixels espions, identifiants uniques : le vocabulaire change, la logique reste. Les supercookies, par exemple, sont injectés directement par les fournisseurs d’accès dans des connexions non sécurisées. Ils contournent les navigateurs, ignorent la suppression du cache, et poursuivent leur traque même lorsque l’utilisateur pense avoir tout effacé. Leur activation repose sur des mécanismes invisibles, rarement détectés, et presque jamais remis en cause. Verizon, fournisseur américain, en a fait les frais en 2016, condamné pour ces pratiques opaques. Mais l’essentiel reste inchangé : ces traceurs collectent des données sensibles, exploitables à grande échelle.

L’adresse IP, quant à elle, continue de jouer un rôle central. En permettant une identification assez précise de la localisation et des usages, elle reste l’un des moyens les plus utilisés pour cibler les utilisateurs. Face à cela, l’une des parades les plus accessibles reste l’usage d’un VPN, qui masque cette adresse et crée un tunnel chiffré entre l’appareil et le serveur distant. C’est une manière efficace de compliquer le travail des traceurs, même si aucune solution n’est infaillible. Pour ceux qui cherchent à comparer les services ou approfondir cette approche, une synthèse utile est disponible sur linformatique.org/vpn.

Mais la traque ne se limite plus aux navigateurs. Nos comptes personnels — adresses e-mail, numéros de téléphone, identifiants sociaux — sont devenus des clés d’entrée dans un profilage bien plus vaste. En utilisant les mêmes identifiants sur plusieurs plateformes, l’internaute facilite, souvent sans le vouloir, les croisements de données. Même les connexions « pratiques » via Google ou Facebook ouvrent des passerelles entre services, accentuant la granularité du ciblage.

Les réseaux sociaux, en parallèle, ont affiné leurs propres outils. Grâce à des pixels intégrés aux sites partenaires, des plateformes comme Facebook ou Instagram savent précisément quelles pages ont été visitées, quel contenu a été consulté, et avec quelle intensité. Ces données, recoupées avec les informations de profil et les interactions sociales, offrent aux annonceurs des possibilités de segmentation redoutablement précises. Plus un utilisateur est actif, plus son empreinte est détaillée.

Dans ce contexte, il devient essentiel d’adopter une posture proactive. Désactiver les autorisations superflues dans les applications, éviter les connexions automatisées via des comptes sociaux, créer des alias pour ses courriels, voire utiliser les modes invités ou les fonctions comme « Hide My Email » chez Apple, sont autant de gestes qui, mis bout à bout, réduisent l’exposition sans pénaliser l’expérience utilisateur.

À plus long terme, l’industrie prépare une nouvelle ère du tracking. Google développe notamment la technologie « Ad Topics », qui repose sur l’analyse de l’historique de navigation pour générer une liste hebdomadaire de centres d’intérêt. Chaque utilisateur recevra ainsi un profil renouvelé régulièrement, censé équilibrer ciblage publicitaire et protection des données. Sur le papier, l’approche semble plus respectueuse de la vie privée. Dans les faits, elle soulève déjà des questions sur la capacité réelle de l’utilisateur à garder le contrôle.

Car la publicité ciblée ne va pas disparaître, elle va simplement se réinventer au fil des évolutions réglementaires et techniques. Il ne s’agit ni d’un abus isolé, ni d’une manœuvre dissimulée, mais bien d’un modèle économique assumé, fondé sur la captation continue de signaux numériques. Ce système, qui fait fonctionner une large part du web dit “gratuit”, ne pourrait exister sans notre participation, souvent passive.

Il n’est pas nécessaire de céder à l’alarme, mais ignorer le fonctionnement de cette mécanique reviendrait à signer, les yeux fermés, un contrat dont les clauses restent invisibles. Comprendre, ajuster ses réglages, varier ses usages, adopter des outils adaptés : autant d’attitudes qui permettent, peu à peu, de reprendre la main dans un univers conçu pour absorber chaque fragment d’attention.

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