La nouvelle génération de CarPlay ne se contente plus de projeter des applis : elle redessine l’habitacle autour de l’iPhone, jusqu’à remplacer les jauges du constructeur par des widgets familiers.
À peine dévoilé dans la gamme Aston Martin mi-mai, CarPlay Ultra fait déjà figure de locomotive pour une automobile où le logiciel prime. Le système s’installe d’emblée sur les modèles neufs vendus aux États-Unis et au Canada, puis arrivera par simple mise à jour sur les voitures déjà équipées de l’infodivertissement maison.
Jusqu’ici, CarPlay affichait Waze, Spotify ou Messages dans une fenêtre bien délimitée. Désormais, l’iPhone occupe chaque recoin numérique de l’habitacle. L’écran central reste le point névralgique, mais la nouveauté frappe surtout au niveau du combiné d’instrumentation : la vitesse, le compte-tours et même la pression des pneus cohabitent avec les widgets Apple, accessibles d’un geste ou d’un simple « Dis Siri ». L’idée paraît anodine, elle redéfinit pourtant la frontière entre le domaine du constructeur et celui du géant californien.
Le conducteur profite d’une personnalisation poussée. Couleurs, typographies, thématiques graphiques : chaque marque dispose de marges de manœuvre pour conserver son identité, tout en s’alignant sur l’ergonomie iOS. Dans la DB12, la navigation s’affiche en plein écran derrière le volant alors que la climatisation se règle par commande vocale, un raccourci qui relègue les boutons physiques au rôle d’accessoires. Le concept séduit Porsche, Audi, Hyundai, Kia et Genesis, qui finalisent déjà leurs calendriers de déploiement. D’ici un an, la plupart des clients disposeront de cette interface, à condition de posséder un iPhone 12 minimum sous iOS 18.5.
Derrière la promesse de confort se cachent des questions de souveraineté logicielle. Le tableau de bord, autrefois vitrine technologique de la marque, devient une extension du téléphone. Les constructeurs y gagnent une interface mature et réclamée par la clientèle, mais ils cèdent une part de contrôle sur la relation conducteur-voiture. Le dilemme ressemble à celui rencontré par les fabricants de smart TV face à Android TV. Le risque reste mesuré tant que les équipes internes conservent la main sur les fonctions critiques, mais l’équilibre bouge.
CarPlay Ultra s’invite aussi dans le débat sur la protection des données embarquées. Apple met en avant le chiffrement de bout en bout et la transparence de ses pratiques de collecte, pourtant l’agrégation de données véhicule-utilisateur ouvre des perspectives commerciales inédites. Les trajets, le rythme de charge pour les voitures électriques, les préférences de température : autant d’informations précieuses pour affiner des services payants ou négocier des partenariats tiers. Le constructeur n’est plus seul à la manœuvre.
Cette montée en gamme s’accompagne d’une offensive matérielle feutrée. Les écrans prolifèrent, portés par la tendance aux dalles panoramiques. Les nouveaux cockpits multiplient les diagonales : cluster conducteur, tablette centrale, surface passager. CarPlay Ultra orchestre ces surfaces comme un iPad géant éclaté sur trois écrans, un atout pour les développeurs qui pourront afficher des cartes à gauche, une playlist au centre et un assistant de conduite à droite. Les metteurs en scène de l’expérience routière y voient la possibilité d’un storytelling visuel renouvelé, là où l’ancien CarPlay se limitait à des tuiles figées.
La concurrence s’organise. Google finalise Android Auto Next, annoncé pour la fin de l’année, avec un discours identique : davantage d’intégration, un design qui épouse le combiné d’instrumentation et un pilotage vocal pour les fonctions du véhicule. Les deux géants chassent la même promesse : faire disparaître les coutures entre smartphone et voiture. Cette bataille se jouera moins sur l’innovation brute que sur la capacité à rassurer partenaires et conducteurs quant à la maîtrise des données et à la pérennité des mises à jour.
Les utilisateurs, eux, plébiscitent la continuité digitale. À bord, retrouver ses playlists, sa messagerie chiffrée, ses cartes hors connexion, tout cela sans phase d’apprentissage, représente un confort immédiat. La courbe d’adoption devrait dépasser celle de la charge sans fil ou du démarrage par smartphone. Reste l’exclusion technique : un iPhone ancien rend la fonction inaccessible, tandis que les irréductibles d’Android devront patienter ou changer de camp.
Dans les concessions, la question de la revente se pose déjà. Une voiture compatible CarPlay Ultra vaudra plus qu’un modèle resté bloqué à la génération précédente. Les analystes du marché automobile voient s’installer un critère supplémentaire de décote, au même titre que l’absence de connexion 5G ou d’aides à la conduite de niveau 2. Les constructeurs devront composer avec cette nouvelle hiérarchie, quitte à proposer des packs d’option à prix doux pour ne pas voir leurs modèles rétrograder en valeur résiduelle.
CarPlay Ultra dessine donc un avenir où la frontière entre l’appareil personnel et le véhicule se brouille. Dans cet univers, la mise à jour logicielle devient aussi stratégique qu’un restylage de carrosserie, le design d’interface aussi identitaire que la calandre. Rien ne dit que les marques automobiles perdront leur singularité : elles pourraient au contraire la réinventer dans le logiciel, à condition de négocier pied à pied avec Cupertino.
La route continue, et le volant reste tangible. Pour l’instant.
